Dans l’exposition Trichosoma, l’artiste Fred Laforge propose des dessins et quelques sculptures sur le thème de la pilosité. Habitué à la multidisciplinarité, que ce soit en sculpture, en dessin ou en animation, Fred Laforge réalise des œuvres séduisantes, qui s’organisent autour de corpus thématiques liés à la représentation de corps déviants ou atypiques. Utilisant des techniques et des moyens simples, tels que le dessin au crayon graphite sur des papiers de grand format, ou de la cire pour les sculptures, l’artiste nous présente des œuvres dont l’exécution est formellement assez classique malgré leur sujet.
Alors que les regards posés sur les corps atypiques les étiquettent habituellement comme laids ou effrayants, l’artiste choisit plutôt d’y voir de riches occasions de travailler la forme plastique. Tout en soulignant les quelques particularités de ses sujets, il privilégie les textures soignées et nous rappelle le plaisir esthétique éprouvé dans son travail, un plaisir qu’il partage volontiers avec le visiteur. Ainsi, parmi les réalisations précédentes de Fred Laforge, des bustes, qui bien qu’ils représentaient les corps de deux personnes atteintes du syndrome de Down (Trisomie 21), empruntaient les codes de représentation bien connus de la statuaire classique.
À Plein sud, on pourra donc apprécier pour elles-mêmes les œuvres présentées. La chevelure est sans conteste l’un des forts attraits de la morphologie humaine. Elle est un outil de séduction dont la puissance est rendue dans les œuvres de l’exposition. Les dessins et les sculptures, bien que monochromes, ne sont pas exempts de sensualité et même d’une certaine animalité. Cependant, à cet aspect du travail formel, s’attache une vision inquiétante : l’attribut morphologique si séduisant devient dérangeant. Sa représentation ne coïncide pas tout à fait à ce à quoi l’on devrait s’attendre. L’appareil de séduction, bien que présent et magnifiquement exécuté, devient inquiétant, alors même qu’il devrait être invitant.
Les œuvres de l’exposition à Plein sud, condensées autour de cette question de la pilosité, mêlent de façon indissociable la séduction et la répulsion, deux pôles de la démarche de Fred Laforge. Cependant, les cheveux sont aussi l’un des marqueurs du temps qui passe : ils poussent, tombent et grisonnent au fil des saisons. Paradoxalement, ils sont aussi parmi les éléments les plus résistants du corps humain, et ils survivent très longtemps à la mort de la chair, comme le prouvent les momies qui gardent leurs cheveux. Partant de là, l’œuvre de Fred Laforge nous plonge également dans une réflexion sur la fugacité de la beauté, mais aussi sur l’aspect éphémère de la jeunesse, du corps et de la vie elle-même.
Les œuvres de Fred Laforge nourrissent un regard neuf et différent sur les sujets présentés. À l’opposé d’une standardisation de la beauté, les images ici convoquées remettent en question l’hégémonie imposée par les diktats de la culture médiatique, celle-là même qui force une standardisation des corps autour d’un corps idéal. Fred Laforge n’a crainte de s’accaparer des sujets qui ne semblent pas correspondre en tous points à l’image de rigueur, socialement construite et positivement civilisée, marquée de la nécessité de devoir séduire. Des sujets qui prouvent que la séduction peut être abordée sous plusieurs angles et déjouent la façon négative dont les corps différents, affectés ou dénaturés, que ce soit de façon volontaire ou non, sont traités dans la sphère médiatique et perçus dans notre vie quotidienne.
Communications : Plein sud — (450) 679-2966 — plein-sud@plein-sud.org
Notices biographiques
Artiste originaire de Chicoutimi au Québec, Fred Laforge vit et travaille à Montréal. Il a obtenu ses baccalauréat (2000) et maîtrise (2003) en art à l’Université du Québec à Chicoutimi et il poursuit actuellement un doctorat en pratique des arts à l’Université du Québec à Montréal. Son travail a été montré dans une quinzaine d’expositions individuelles à Montréal, Laval, Québec, Rouyn-Noranda et Ottawa. Il a aussi participé à plusieurs expositions collectives au Québec et ailleurs au Canada, mais aussi en France, en Espagne et au Chili.
Anne-Marie Bouchard est historienne de l’art (Ph.D., 2009), stagiaire postdoctorale à l’Université Laval et chargée de cours à l’Université de Montréal. Spécialiste de l’art social, de la presse politique et de la culture visuelle aux XIXe et XXe siècles, elle mène parallèlement à ses recherches historiques une activité de critique et de commissaire en art contemporain.
Remerciements
L’artiste remercie Sandra Laroche, Éric Burman et Julie Gaudreau.