Il y a un peu plus de cent ans, notre compréhension de la nature et de l’univers fut bouleversée par la découverte de la physique quantique qui succéda à la physique newtonienne, appliquée depuis le 17e siècle. Cette révolution scientifique repose notamment sur la quantification de l’énergie [1] et s’appuie sur le fait que les particules élémentaires [2] qui composent la matière sont à la fois ondes et corpuscules. Il est aujourd’hui démontré que ces particules existent sous forme de champs quantiques, des vecteurs de potentialités qui fluctuent dans l’ensemble de l’univers.
La catastrophe ultraviolette [3] porte sur ce caractère virtuel de la matière. L’installation d’animation 3D s’inspire d’une expérience récente menée par Julie Tremble à l’Institut de Science et d’Ingénierie Supramoléculaires de Strasbourg où elle fut accueillie à l’automne 2023 pour une résidence de recherche. L’expérience, mystérieuse et inouïe pour qui n’est pas familier avec la chimie quantique, consiste à modifier les propriétés d’une molécule en la couplant avec une particule de lumière, un photon. Pour ce faire, on emprisonne ces dernières entre deux miroirs dont la distance est finement réglée. Répercuté entre les deux surfaces réfléchissantes, le photon entre en résonance avec la molécule, qui acquiert ainsi un nouvel état lumière-matière et qui engendre la transformation de certaines de ses caractéristiques [4] .
À partir de l’image réfléchie des miroirs, du concept d’état lumière-matière et des propriétés de la matière à l’échelle quantique, Julie Tremble a élaboré une science-fiction expérimentale et contemplative. Sur les trois écrans de l’installation, un paysage inspiré du Nord du Québec est examiné simultanément aux échelles macroscopique et quantique. On passe ainsi d’images réalistes d’un paysage naturel de plusieurs centaines de kilomètres carrés à des séquences formelles qui illustrent les plus petites particules existant dans l’univers, un peu comme si on regardait à travers une lentille dont la distance focale allait du CERN [5] à un satellite.
Sous l’emprise d’une perturbation quantique à grande échelle, les éléments de ces différentes séquences entrent graduellement en résonance. Agités d’effets visuels qui traduisent des formes d’hybridités entre lumière et matière, les végétaux et minéraux qui composent l’environnement perdent leur cohésion et leur stabilité. Dédoublements, spectre lumineux et frétillements électroniques se transmettent d’un écran à l’autre et dématérialisent le paysage numérique. Ainsi, graduellement, réalisme et abstraction fusionnent pour former des environnements hallucinés où les processus quantiques se jouent à une échelle macroscopique sensible.
La trame sonore multicanale et immersive est réalisée par la compositrice et écologiste sonore Rehab Hazgui, dont la composition explore la possibilité de fusionner l’aléatoire quantique avec la musique, un intérêt né de sa fascination de longue date pour l’utilisation de l’imperfection et du hasard dans la création musicale.
En utilisant l’aléatoire quantique, Rehab Hazgui manipule le spectre de Fourier des paramètres et fréquences sonores, avec la possibilité de découvrir des motifs dans les changements timbraux. Elle utilise cette technique pour explorer de nouvelles dimensions dans la composition musicale, cherchant à révéler des motifs cachés dans les variations timbrales des sons, une approche qui peut altérer notre compréhension et notre perception de la musique.
Remerciements
Emilie Werner, Maciej Piejko, conseillère et conseiller scientifiques.
Jean-Pierre Aubé, Ariane De Blois, Claudia Bonfio, Christine Boudreau, Philippe Hamelin, Joseph Moran, Ariane Plante, Giulio Ragazzon.
Ce projet est réalisé grâce au support financier du Conseil des arts et des lettres du Québec de même qu’au soutien et à la confiance de Plein sud.
Biographies
Julie Tremble est une artiste de la vidéo et de l’animation. Nourrie entre autres par le cinéma, les sciences naturelles, la littérature et la philosophie, elle s’intéresse aux constituants de l’univers, aux états de la matière et à leurs représentations. À partir de différentes sources : articles et discussions avec les scientifiques, documentaires de vulgarisation, simulations numériques, documents de communication des agences spatiales, elle produit des vidéos et des animations où s’entremêlent données scientifiques, documentaire et science-fiction.
Julie Tremble détient une maitrise en études cinématographiques de l’Université de Montréal (2005) ainsi qu’un baccalauréat combinant cinéma et philosophie (2000). Son travail a été présenté au Canada et à l’international, dans des centres d’art parmi lesquels le Museum Ludwig (Budapest), la Fonderie Darling, Dazibao et la Galerie Joyce Yahouda (Montréal), STUDIOTELUS du Grand Théâtre de Québec et VU (Québec), la Galerie d’art Foreman et Sporobole (Sherbrooke), ainsi que lors de différents festivals dont le Mirage Festival (Lyon), Mapping (Genève), le Festival du nouveau cinéma et le Festival international du film sur l’art (Montréal), Images Festival (Toronto), la triennale Espace [IM] Média (Sherbrooke) et ARKIPEL – Jakarta International Documentary and Experimental Film Festival. En 2013, elle reçoit le prix du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) pour la meilleure œuvre d’art et d’expérimentation.
Par son travail, Rehab Hazgui explore des manières d’apprendre de nouvelles formes de langages à travers l’écoute consciente et la relation que les êtres entretiennent avec leur culture, leur héritage, leur société et leur environnement en tant que participants actifs et vivants. Ses découvertes examinent la manière dont le son émerge de paysages dynamiques, notamment de ceux issus de phénomènes biologiques, géophysiques ou humains. L’intérêt premier de Rehab Hazgui porte sur l’acte de s’écouter dans la mesure où cela est lié à notre perception de l’espace, à notre relation à ce dernier et au profond niveau d’engagement que notre oreille nous permet d’entretenir avec le monde.
Dans sa musique, elle explore le mouvement incessant du son, la répétition et le silence comme espace tiers à partir duquel on peut naviguer entre différentes formes d’écoute. Réalisées avec des outils numériques et des instruments modulaires, ses créations sonores se distinguent par la manière dont elles défient les perceptions que nous avons du temps et de l’espace.
Le concept d’interaction cognitive synergique est au cœur de ses expérimentations sonores. Celui-ci implique une collaboration continue et transparente entre l’humain et la machine pour créer une performance musicale intégrée. La musique de l’artiste offre une expérience unique et innovante qui transcende les notions musicales et technologiques traditionnelles, permettant un voyage sonore sans précédent à l’auditeur. Ses créations sonores remettent en question la perception du temps et de l’espace de l’auditeur, valorisant une approche distincte de l’expérimentation et de l’exploration sonores.
Le travail de Rehab Hazgui a été présenté dans de nombreux festivals et lieux de diffusion : Phonetics (Alger), CTM (Berlin), Kikk (Namur, Belgique), Savvy Contemporary (Berlin), Phonetics (Saint Denis, Paris), Perte de Signal (Montréal), Sight & Sound (Montréal), The Mannheimer Sommer Festival (Mannheim, Allemagne). Elle a donné de très nombreux ateliers en Europe sur la construction de synthétiseurs et d’appareils audio « faits soi-même » (DIY).