L’art n’est pas un bureau d’anthropométrie !
Léo Ferré [1]
[...] en gardant à l’esprit de rébellion, on a le droit de faire ce que l’on veut.
Le contrat de liberté que signe l’artiste, il le signe avec lui-même, en toute intégrité.
Luc Béland [2]
Le conseil d’administration de Plein sud ainsi que ses membres et son personnel se joignent à la communauté des arts visuels du Québec, et plus particulièrement à celle de la municipalité de Longueuil, pour déplorer le décès de l’artiste Luc Béland.
Pour lui rendre hommage, aussi paradoxal que cela puisse paraître, nous allons à l’encontre de la pensée de ce géant de la chanson française (Ferré) que Béland chérissait tant. En effet, nous lui consacrons la notice bibliographique suivante afin que les amateurs d’art connaissent un peu plus le parcours de cet estampier, peintre et vidéaste qui a été l’un des acteurs marquants de la scène des arts visuels montréalaise et québécoise depuis 35 ans.
Depuis le début des années 1970, Béland a toujours été fidèle à son langage plastique et à ses thèmes. Après son « purgatoire formel » [3], ses recherches esthétiques tout au long d’une production constante l’ont mené à avoir une signature picturale qui lui est propre :
Depuis bon nombre d’années, mon travail met en évidence mon intérêt soutenu envers la couleur sous ses multiples facettes, envers les méthodologies du collage, de l’assemblage, d’alliages multiformes d’une part, et, au plan du contenu, par le recours à des références iconographiques tirées de ma propre mémoire thétique, de l’Histoire en général et l’Histoire de l’Art en particulier d’autre part, et ce, par des traitements infographique, photosérigraphique et projection directe, le tout en un ensemble qui se veut « allégorique » [4].
Notice biographique
Natif de Lachine, Luc Béland a vécu et travaillé à Montréal, Saint-Charles-de-Mandeville et Longueuil. Devenu citoyen de Longueuil en décembre 1996, Béland s’est impliqué dans la défense de la reconnaissance professionnelle des artistes de sa municipalité notamment en participant, en tant qu’invité, à la table de concertation pour la dernière politique culturelle de la Ville, en siégeant au conseil d’administration de l’atelier de gravure Le Zocalo, en faisant partie de l’exposition du 10e anniversaire de cet atelier, en offrant des cours aux ateliers culturels du Centre culturel Jacques-Ferron, en exposant (expositions individuelles et collectives) au Vieux-presbytère St. Mark en tant que boursier de la Société de développement des arts et de la culture de la Ville de Longueuil (SODAC) tout en se faisant un devoir et un plaisir d’assister aux vernissages de ses pairs, en s’inquiétant de la distribution équitable des bourses pour les artistes qui avaient demandé une aide financière à la Ville (SODAC), en participant aux campagnes de financement du centre d’exposition Plein sud, et ce, sans oublier d’encourager les artistes émergents.
Formation
Dans ce parcours de formation, il y a eu des professeurs qui m’ont beaucoup aidé dont Mel Boyenner, Suzanne Pasquin, Pierre Ayot, Louisette Gauthier-Mitchel... Mon esprit d’étudiant était alors imprégné d’un sentiment rebelle face aux interdits : j’avais envie de bousculer les choses.
Luc Béland [5]
Luc Béland a obtenu, un brevet « B » (arts plastiques) de l’École normale Ville-Marie (1971) ainsi qu’un baccalauréat en arts plastiques, spécialisé en gravure, de l’UQAM (1973). Il a également effectué un stage de perfectionnement en photogravure et photolithographie au Pratt Institute Printmaking Department à New York (1973).
Expositions
Percevoir nécessite un temps d’approche, un temps de réflexion ; cela implique une sensibilité « disponible » aux phénomènes qui se présentent à l’être, cela nécessite une vision syncrétique.
Luc Béland [6]
Depuis 1970, Béland a participé à de nombreuses manifestations qui ont jalonné sa carrière au Québec, au Canada ainsi qu’à l’étranger (Suisse, France, États-Unis, Allemagne) : expositions individuelles et collectives, expositions anniversaires, expositions rétrospectives sur les arts visuels au Québec, biennales, foires internationales, colloques, symposiums, événements-bénéfice, etc.
Il a quatorze expositions individuelles à son actif, principalement à la Galerie Graff (Montréal) qui le représente depuis 1983. La plus récente (2003), composée de trois volets, s’est déroulée au Vieux-presbytère St. Mark à Longueuil ainsi que chez Graff : Sémaphores et anacoluthes, Vagues et bigarrures, Perplexités et agonies. Soulignons qu’il a participé à sa dernière exposition collective (2006) dans le cadre du 40e anniversaire de Graff : Qui a volé les souliers d’Alfred ?
À l’âge de vingt-cinq ans, le Musée d’art contemporain de Montréal l’invita à exposer en solo (Luc Béland : Études 1976). Par la suite, on a pu y voir ses œuvres dans neuf expositions collectives.
Il a également participé à plus de soixante-quinze expositions collectives dont plusieurs furent des plus importantes à leur époque, et ce, à plusieurs égards ; mentionnons plus particulièrement :
Des expositions soulignant le 20e anniversaire de deux organismes culturels incontournables au Québec :
- les Ateliers Graff (Graff 1966-1986, Musée d’art contemporain de Montréal, 1986 ; Rétrovision, Galerie Graff, 1986) ;
- le Musée d’art contemporain de Montréal (Les 20 ans du Musée à travers sa collection, 1985).
Plusieurs manifestations présentant les enjeux du dessin et de la peinture des années 70 ou 80, au Québec et au Canada :
- The Figure, a Selection of Canadian Painting 1983-84 (Burlington Cultural Center, 1984, exposition itinérante en Ontario et en Saskatchewan) ;
- Montreal Painting Now (Galerie Sir Georges Williams, Montréal, 1982) ;
- Le dessin de la jeune peinture (Musée d’art contemporain de Montréal, 1981, exposition itinérante au Québec en 1982 et 1983) ;
- Symposium : peinture contemporaine du Québec (Musée du Nouveau-Monde, La Rochelle (France), 1980, exposition itinérante en France) ;
- Avec ou sans couleur (Pavillon Forum des Arts, Terre des hommes, 1978, exposition itinérante au Canada en 1978 et 1979) ;
- 50 dessins canadiens (Beaverbrook Art Gallery, Beaverbrook, Nouveau-Brunswick, 1977, exposition itinérante dans les provinces maritimes en 1977) ;
- Cent onze dessins du Québec (Musée d’art contemporain de Montréal, 1976, exposition itinérante au Canada) ;
- 35/35 : jeune gravure du Québec (Musée d’art contemporain de Montréal, 1974, Montréal ; Bayreuth (Allemagne), Rouyn-Noranda (Québec)) ;
- 9 out of 10, A Survey of Contemporary Canadian Art (Art Gallery of Hamilton, Hamilton, 1974, exposition en Ontario en 1974 et 1975) ;
- Art impact : diffusion (Galerie de l’Université de Sherbrooke, 1973, exposition itinérante dans les Cantons de l’Est).
D’autres manifestations faisant le point sur l’évolution ou la situation de la production artistique au Québec :
- Les arts et la ville (Colloque national, Théâtre de la Ville, Longueuil, 2001) ;
- Montréal 1942-1992 : l’anarchie resplendissante de la peinture (Galerie de l’UQAM, 1992) ;
- La décennie de la métamorphose : 1982-1992 (Musée du Québec, 1992) ;
- Point de vue : point de fuite (Colloque sur la situation des arts au Québec et au Canada, Université du Québec à Montréal, 1985).
Des expositions thématiques :
- Violence. Pièges du regard (Centre de diffusion de l’Université du Québec à Montréal, Galerie Graff, Galerie Christiane Chassay, Galerie Trois-Points, 1992) ;
- Le geste oublié (Musée d’art contemporain de Montréal, 1987, exposition itinérante au Québec).
Des expositions en collaboration avec Jean-Marc Desgents.
- Il faut souligner ses collaborations avec Jean-Marc Desgent, son ami d’enfance, poète, nouvelliste, critique littéraire et professeur au collège Édouard-Montpetit. Les mots de ce lauréat de sept prix littéraires en poésie cohabitaient avec les peintures et dessins de Béland créant ainsi des œuvres à deux voix :
- Sù vasta scala (Galerie Graff, Montréal, 1998 ; Vieux-presbytère St. Mark (SODAC), Longueuil, 2000) ;
- Les Inconnues (Maison de la culture Côte-des-Neiges, Montréal, 1990) ;
- Œuvres récentes : sans vergogne (Galerie Graff, Montréal, 1988).
- Cette complicité remonte à 1969 à la création du concept théâtral Le Christ est mort, vive le Kriss qui fut présenté au Centre Récréatif de Verdun et au cégep Maisonneuve. En 1978, Béland avec Desgent et le cinéaste Jean-Pierre Laurendeau créent le vidéo I am still painting, I am still writing, I am still filming (Véhicule Art, Montréal, 1978). De plus, Béland participa avec Laurendeau à trois autres vidéos, dont deux dans le cadre de 5th Network sur la situation de la vidéo au Canada (A Space, Toronto, 1978).
Des expositions collectives regroupant amis et confrères :
- Béland et de Heusch : observations, commentaires (Galerie Optica, Montréal, 1981) ;
- Six Propositions (Musée des beaux-arts de Montréal, 1980 ; Béland, de Heusch, Kiopini, Knudsen, Mill et Plotek) ;
- Jocelyn Jean et Luc Béland (Galerie Sans Nom, Moncton, Nouveau-Brunswick, 1980) ;
- Béland, de Heusch, Jean, Kiopini (Musée d’art contemporain de Montréal, 1977) ;
- Luc Béland et Lucio de Heusch (Le Cadre Gallery, Toronto, Ontario, 1977) ;
- Luc Béland et Michel Lancelot (Galerie Média, Gravure et Multiples, Montréal, 1974).
Notons que depuis quelques années, Béland caressait le projet de revivre un nouvel événement avec ses amis de l’exposition de 1977, au même musée.
Enfin, il faut également compter à son actif trois projets réalisés dans le cadre de la politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement, communément appelée la politique du 1% (1995, 1996).
Implication professionnelle relative à sa pratique artistique
Son implication professionnelle relative à sa pratique artistique s’est articulée autour de trois pôles : l’enseignement, la participation comme membre de jurys au Conseil des arts du Canada et le commissariat d’exposition.
Enseignement
[...] l’enseignement différencié des démarches respectives prend ainsi toute sa portée et élargit le réseau de possibilités perceptuelles.
Luc Béland [7]
Dès sa sortie de l’École normale Ville-Marie en 1971, il donna des cours d’arts plastiques aux élèves de 1re, 2e et 3e secondaire durant un an. Après son baccalauréat en arts plastiques (UQAM, 1973), il a été périodiquement chargé de cours, enseignant l’estampe (taille-douce, eau-forte), le dessin ou la peinture à l’École d’art et de dessin du Musée des beaux-arts de Montréal, à l’Université Concordia (aux départements de gravure, de dessin et de peinture de la Faculté des beaux-arts), à l’Université d’Ottawa (au Département des arts visuels), à l’Université de Montréal (à la section des arts visuels du Département d’histoire de l’art) et à l’Université du Québec en Outaouais. Reconnu comme un très grand coloriste, Béland donna également des cours sur les arts de la couleur à la section des arts visuels du Département d’histoire de l’art de l’Université de Montréal.
Il participa à d’autres activités connexes à l’enseignement : présentation de sa démarche picturale dans les cours de ses confrères professeurs universitaires, membre de jurys à la soutenance de mémoires de maîtrise, participation à des séminaires critiques et des panels notamment à Parti pris peinture. Parti pris de peindre (Galerie de l’UQAM, 1993), au colloque Photographie et /ou Peinture (UQAM, 1988), à Point de vue : point de fuite : Colloque sur la situation des arts au Québec et au Canada (UQAM, 1985), à la Rencontre nationale de la critique d’art : La situation des arts au Québec (UM, 1977).
Participation à des jurys au Conseil des Arts du Canada
Il siégea à différents jurys au Conseil des Arts du Canada de 1979 à 1983 : acquisition, bourse de recherche et de création et octroi d’ateliers outre frontière.
Commissariat
Il exerça le rôle de commissaire pour trois expositions. Sous le titre Séries, il organisa une rétrospective partielle des œuvres — depuis 1970 — de ses amis Monic Brassard et Yvon Cozic (Maison de la culture Côte-des-Neiges, Montréal, 1994). Dans l’exposition L’art bouge : un regard sur les Seventies, il a regroupé des œuvres d’art cinétiques et des installations vidéo de onze artistes (Maison de la culture de Côte-des-Neiges, Montréal, 1996) ; ces productions considérées comme provocantes vingt ans plus tôt n’avaient pu bénéficier d’une grande visibilité lors de leur création. Pour sa part, l’exposition Sur papier (Galerie Média, 1977) mettait en valeur la relève de l’époque.
Bourses et prix
Le penseur créateur doit proposer et prendre des décisions provisoires sans pouvoir visualiser leur relation précise avec le produit final.
Anton Ehrenzweig [8]
Depuis 1973, sa carrière a été soutenue par une vingtaine de bourses de recherche et de création octroyée par la Société de développement des arts et de la culture (SODAC) de la Ville de Longueuil, le Conseil des arts et des lettres du Québec, le Conseil des arts du Canada, le ministère des Affaires culturelles du Québec et le ministère de l’Éducation du Québec.
Son talent fut également reconnu à l’exposition Graphex (9) (Biennale nationale d’estampes et de dessins) à l’Art Gallery of Brant de Brantfort en Ontario en 1984, où il remporta le prix d’acquisition de la Fondation Hamilton Porcelain. Puis, en 1991, à la Biennale du dessin, de l’estampe et du papier matière du Québec à Alma, il a obtenu la bourse d’excellence Alcan ; ce premier prix lui a été accordé « pour la qualité de son œuvre soumise bien sûr, mais également pour l’ensemble de sa contribution aux arts visuels, marquée par un constant renouvellement » [9].
Collections
L’ennui, avec l’art comme on le comprend aujourd’hui est cette nécessité de mettre le public de son côté.
Marcel Duchamp [10]
Ses œuvres sur toile et sur papier enrichissent diverses grandes collections nationales : celle du Musée des beaux-arts du Canada, celle du Musée national des beaux-arts du Québec, celle du Musée d’art contemporain de Montréal, la Banque d’œuvres d’art du Conseil des Arts du Canada et la collection Prêt d’œuvres d’art du Musée national des beaux-arts du Québec. Ses œuvres font également partie de quelques collections d’entreprises et privées au Québec et au Canada.
Sources bibliographiques
[...] concert des critiques, ces théoriciens de boudoir, qui se parlent entre eux (...) et qui excluent les artistes et le public.
Luc Béland [11]
Plus de soixante-dix sources bibliographiques documentent, en français et en anglais, ses expositions individuelles et collectives ainsi que d’autres manifestations auxquelles Béland a participé : reproductions d’œuvres, articles de journaux, entrevues, textes de revues spécialisées, de catalogues et d’opuscules.